Dans le Bestiaire des Dieux,
les Animaux Fantastiques :
Monstres et Chimères



LE VAMPIRE



          Si l’on devait en croire Éloïse Mozzani : « 
les premiers récits mentionnant des morts vivants suceurs de sang appartiennent à la Chine du Vème siècle avant notre Ére » (Le livre des superstitions, Laffont Bouquins, 1995).
          
Or, chez les Grecs et chez les Romains ce “vampire” existait déjà sous forme de spectre, d’Empuse ou de Lamie et, puisque nous en trouvons aussi trace dans la littérature sanscrite, sans doute peut-on affirmer que c’est un concept indo-européen ancien et, tout simplement : celui du spectre, du re-venant1 ?


Étymologie : précisons ici que ce mot qui vient de l’allemand Vampir est, en fait, d’origne serbe et signifie tout simplement… “fantôme”.


En Perse : « Sa première trace tangible est un vase préhistorique découvert en Perse et orné d’un dessin : un homme aux prises avec un être monstrueux essayant de lui sucer le sang. » Jean Marigny, Sang pour sang, le réveil des vampires, Gallimard, 1993.
          Mais il s’agit là, semble-t-il, d’un effet d’iconotropie contre laquelle Robert Graves (Les Mythes Grecs, Fayard Pluriel, 1967) nous a soigneusement mis en garde. Et, puisque nous avons vu ensemble dans l’article Blasons*2 que le “meuble” ou “figure” appelé Guivre – un Serpent qui engame un enfant ou un humain – pourrait être une figuration symbolique du grand raz de marée qui dévasta l’Europe du Nord (cf. art. Déluges* : le Ragnarök/ Gigantomachie, et art. Atlantide* boréenne), cela reporterait la date de l’origine de ce mythe vers le XIIIème siècle avant notre Ére comme suite de ce cataclysme (à supposer qu’il ne soit pas né chez les Cimmériens de la Mer Noire alors que, remontant, elle envahissait leurs riches terres noires agricoles.
          Posons-nous donc la question : ces “vampires” ou Vanth étrusques en sont-ils les héritiers ?


Dans la mythologie grecque :
« Les ombres errent dans les champs d’asphodèles3 qui est la première région du Tartare, avant l’Érèbe “obscur, couvert” où habitent Hadès et Persépnoné (“meurtre de Persée”, le récurrent)n :  leur seul plaisir est dans les libations de sang4 que leur offrent les vivants ; lorsqu’ils les boivent, ils se sentent presque redevenir des hommes”. » Adaptation locale – et quelque peu superstitieuse ! du rite* indo-européen d’Action de Grâce, de ce sacrifice animal qui consistait à rendre à la Terre Mère le sang fécondant de la victime propitiatoire en le versant dans la fosse rituelle soigneusement cuvelée (Tymbos).

          Tisiphoné (“meurtre de Thésée” ou “qui honore le meurtre”) était une 
Erinnye chargée de punir les coupables. Proche en est la Sphinge (du grec sphingein “étreindre mais, signalons aussi sphygmos “léger tremblement de terre”…) La sphinge (infra), "vierge au doigts crochus, au chant énigmatique",i posa son énigme à Œdipe, laquelle concernait, dans ce cas particulier, le moustique de la malaria : Œdipe résolut l'énigme en asséchant les marais par un système de drainage et le monstre en mourut… dit-on !


La Sphinge de Délos



          « L’
Empuse, “celle qui force” était un spectre hideux envoyé par Hécate et qui s’attaquait surtout aux voyageurs. C’était une sorte de vampire qui suçait le sang de ses victimes, comparable aux Lamies. » Jean Vertemont, Dictionnaire des mythologies indo-européennes, Faits et Documents 1997.

          Les
Kérès étaient des daïmons célestes qui présidaient aux morts violentes : exécutrices des châtiments divins, elles symbolisaient la justice immanente (Vertemont). Nous penserons ici aux Walkyries de nos ancêtres germains dans leur action d’élection des combattants morts dans l’honneur, faisant d’eux les héros de leur clan*… et origine du culte rendu aux Grands Ancêtres (et non pas aux “morts/ cadavres”).


Chez les Romains : Lamie. On retrouve la racine dans le mot lamentation, lamantin, mais aussi dans le nom de la tribu celtique de la nymphe Lamia (Ceux du Tilleul) mais, par comparaison, Laima est la déesse balte du destin*. (En grec on a lamia “glouton ou sensuel”, et surtout lamos “dévorant”).

          La
Stryge était le “vampire des nouveau-nés”, nouveau-nés mis au monde par Lucine ou Maïa et l’on sait que la déesse romaine Carna “protectrice des gonds de porte” 5 était là pour éloigner ces funestes “femmes-oiseaux” 6 de leurs berceaux.
          Le Stryge s’appelle Cesk, à Cenzato/ San Pietro où elle est un “prédateur de la nuit7 ”. C’est là l’origine du fait que :

Toutes ces bestioles imaginaires appartiennent à la famille des “strigiformes” !


          
Les petits esprits s’échappent du grand pithos grec le jour de “l’Ouverture des Jarres”
(version citadine de l'archaïque Fosse rituelle– cf. art. Celtes*)


Chez les Étrusques : La tradition du vampire est bien attestée : c’est la Vanth (ou Lasha), un “démon femelle” ailé et à la taille ceinturée d’un gros noeud*. Elle paraît “présenter la note” au défunt (telle Klothé la Parque, sa cousine grecque), défunt qu’un Charun/ Charon, ailé et marteau en main, introduit aux enfers (chez les dieux îinferiis donc “sous terre”) en le présentant.
          Le char de la Vanth est tiré par des dragons* femelles et, ainsi, elle évoque bien le “meurtre de Persée” (–> Pérséphoné = l’hiver, la période pendant lequel Persée le récurrent Printemps est “meurtri”) ! Derrière elle un Cerbère à trois têtes de loup et à queue de serpent dévore des entrailles (image de la fosse rituelle) et, dans un char tiré par des dragons – griffus griffons* – semble trôner Déméter – la Déesse Mère/ Terre – en personne !
          Mais, dans les tombeaux étrusques : « Charun et Tuchulcha apparaissent rarement seuls. Toute une armée d'autres démons de la mort, du sexe masculin et féminin, parmi lesquels la déesse de la mort Vanth les accompagnent. Incarnant tous le
destin* inéluctable, ils leur servent d'acolytes. Eux aussi sont ailés, chaussés de bottes de chasse, équipés de massues, de pinces et de lacets ; ils brandissent aussi torches et maillets, tiennent des serpents dans leurs mains. Menaçants, ils planent au dessus des scènes où la mort fait son œuvre ou bien, à l'écart, ils attendent qu'elle ait officié. Ils accueillent les morts, les arrachent au cercle de leurs parents et les entraînent. Ils conduisent le coursier de la mort, accompagnent le char funèbre où s'attellent même à lui. Ils précèdent les cortèges funèbres ou ferment la marche ou encore attendent devant la dernière porte.
          « Autres symboles de la mort, des animaux sauvages et des monstres peuplent également le monde des morts. Ils guettent au fronton des tombeaux, sont accroupis, prêts à bondir, dans les frises qui, le long des parois, ceinturent les hypogées. Ce sont des chimères et des sphinx, des lions, des panthères et des griffons. Ils attaquent hommes et animaux, chassent, déchirent ou dévorent leurs proies.
          « Ne laissant rien ni personne leur échapper, les puissances éternelles règnent impitoyablement sur le Cosmos… » Werner Keller, Les Étrusques, Fayard GLM 1976.

          Le Caron ou Charon des Romains était Charun8 pour les Étrusques, un “démon” – c’est à dire une dieu subalterne, un “esprit” – qui frappait avec son marteau sur la tête de tout mortel "marqué par la mort", puis le conduisait dans "l'autre" monde (où il connaissait – peut-être, on peut toujours rêver – une autre vie de bonheur (on voit donc bien ici ce que “l‘Église* catholique et romaine” (!) doit aux Étrusques)…
          Tuchulcha est son collègue : il a un bec et une paire d'ailes de vautour, des oreilles d'âne, et son crâne est entouré d'horribles serpents, en somme il est très médusien ou griffonien.
          Un autre personnage mortuaire étrusque est
Orcus, équivalent d’Horcos chez les Grecs dans lequel nous retrouvons le lupus-ircus, le “luperque” des Romains (cf. le Loup, # 3/5).


Chez les Nordiques :
cet Orcus était connu sous le nom vieux norrois de Hakaal9 mais on retrouve la racine dans Niddhogr, le Serpent du Monde (océan ciculaire) qui s’est révolté (Raz de Marée du XIIIe s. AEC) pour accompagner Fenrir (–> Cerbère) dans son œuvre destructrice : le Ragnarök (Gigantomachie)…
          Il est remarquable que, chez eux, le revenant se nomme
Draug (cf. art. Dragon*) bien proche de Dracula : les Celtes et les Germains n’étaient-ils pas parents avant que les Romains ne les opposent en les nommant ainsi, pour satisfaire leur politique impérialiste : “diviser pour régner” ?


En Lituanie : Cette Vanth se retrouve en effet plus au Nord car les habitants ont gardé une Croyance (lat. superstition, “superstition” pour l’Église*) selon laquelle, entre le monde des vivants et celui des morts, existe l’univers des Vélès10 (vaonès Å Vanth) ou “morts vivants” qui ont une “certaine” présence physique : ce sont des Velniai (cf. les larvae romaines. Cf. aussi art. Elfes* et Manes*).
          Ce sont : « Les “esprits”,
Wales, Velnias, Uel (cf. Hel)n, qui ont un statut proche de celui des diables chrétiens et les uns et les autres sont sous le commandement de Velnias leur maître à tous. » Marc Soriano, Les contes de fée, in Le Monde Indo-Européen, Brepols, B.


Le Vampire polonais
se nomme Wikolaki

Chez les Celtes d’Europe centrale : Il est donc normal de voir le “Vampire” réapparaître dans le folklore paysan car l’Église* n’a pas pu tout éradiquer, elle profite même grandement des terreurs irrationnelles qu’elle encourage : l’absence de culture maternelle et d’identité, depuis qu’elle a éradiqué notre Arbre de Vie, favorise la recherche de l’irrationnel : notre monde “moderne” en est une vibrante illustration !
          Ainsi,
strigoï est le nom des vampires en Roumanie. Le mot féminin français strige représente un “vampire mi-chien (Cerbère) – mi-femme11 (Vanth)”, et l’anglais strike comme l’allemand streich12 signifient “grève et arrêt de l’activité, de la vie sociale”…


En Égypte : Un curieux rapprochement phonique existe avec le nom de la Vanth : Manéthon nous apprend que : « Les anciens Égyptiens brûlaient des hommes roux et répandaient leurs cendres au loin au moyen de vans13… », il le précise expressément, et Frazer le complète : « Sur les monuments égyptiens, le roi est souvent représenté sacrifiant des prisonniers roux - de ses mains - devant un dieu (Osiris probablement). »
          C’est fort Curieux de la part de gens qui étaient eux-même roux d’origine ! Serait-ce un mythe d’incinération des ancêtres fondateurs de la dynastie… qui se serait mêlé à l’exécution des prisonniers de ces “Peuples de la Mer et du Nord” qu’on voit sur les gravures de Medinet Abou… (cf. d° in art. Atlantide* boréenne)…


Au Moyen Âge où l’on cultivait fort benoîtement (†) les peurs populaires, on appelait le vampire Alouby et, avec le Garache/ garou (Loup), il était censé participer à cette Chasse Hennequin ou Harlequin d’Odhin/ Wotan* qui déferlait pour le Solstice d’Hiver et à nouveau pour la Nuit de Walpurgis*, cette veillée du 1er Mai qui nous préoccupe en premier lieu !

Concernant une légende de sorcellerie post évangélique, Éloïse Mozzani nous rappelle que : « Les personnes les plus exposées à devenir vampire sont les suicidés, les excommuniés donc, ainsi que les sorciers*, les enfants mort-nés, les victimes de mort violente et tous ceux qui n’ont pas eut de sépulture… chrétienne » (tout s’explique !)…
          On trouve bien ici la dégradation d’un vieux mythe nordique dans ce châtiment réservé à “ceux qui n’ont pas eu de sépulture chrétienne”. Ainsi, du Fenrir ouvrant grand sa gueule sanglante pour dévorer les Dieux du panthéon nordique, en passant par les libations de sang/ commémoration de la mort des Grands Ancêtres des Grecs ou des Romains c’est à dire (de ceux qui sont donc devenus) des “Dieux*” (indo-européen* *Diew : “lumineux comme le Ciel Diurne”) on est arrivé à travers l’habituelle inversion/ dénigrement, à des “morts vivants”, des “re-venants”
pour être perpétuellement punis car c’était des “vilains” sorciers*14 , des suicidés, des moins que rien privés de sépulture… chrétienne15.


Folklore : Les Bulgares nomment leurs vampires Ustrels. Les Valaques croyaient qu’un enfant “né coiffé” deviendrait un vampire à moins qu’on ne lui fasse manger un petit morceau de sa coiffe placentaire : il s’agit là manifestement d’une de ces inversion chrétienne d’où naquirent les superstitions* ! Dans les régions hongroises, on parle d’oupires16, ou de broucolaques (vroukolakas).


Chimère, sirène, sphinge, défions-nous de ces mots qui, parlant d’une figure à peine différente, créent des catégories, des séparations artificielles : tous ces personnages sont des Vanth, intermédiaires entre la vie et la mort, psychopompes bienveillantes ou malveillantes, mânes* ou Elfes et, ensuite “démons” post chrétiens.


En Grande-Bretagne, au XIIème siècle apparaissent « les premières manifestations de
vampirisme au sens propre du terme, c’est à dire de morts vivants qui sucent le sang : ils étaient appelés à l’époque cadaver sanguisugus (…) C’était des morts en général excommuniés† (!) et le seul moyen de mettre fin au maléfice était de brûler leur corps après l’avoir transpercé à l’aide d’une épée†. » William de Newburgh, Historia Regis Anglicarium, 1196, cité par Jean Marigny.

         Nous voici donc devant une légende moderne (et non d’un mythe* – ne mélangeons donc pas les torchons (sales) avec les serviettes (propres) – légende déjà bien constituée : essayons donc d’en retrouver les éléments constitutifs :

– a/ excommuniés : l’Église* trouve donc intérêt à ces terreurs…

– b/ corps brûlé : redoublement, l’Église interdisait la crémation, qu’elle ne tolère d’ailleurs que depuis peu pour sauvegarder les meubles (et le “casuel”)…

– c/ corps transpercé : il s’agit-là d’un vieux rite* nordique appelé la “marque d’Odhin” qui consistait à percer le corps du défunt d’un coup de lance (on pensera ici à sa “récupération” chrétienne dans la légende d’un hypothétique légionnaire Longinus perçant, de même, le corps de Jésus sur le Golgotha). Ce rite est toujours pratiqué par les chamans* bouriates de Sibérie.

          Ainsi,
la littérature anglaise moderne accouplant la Strige17 et Vlad IV – dit Vlad Tépès “l’empaleur” ou Vlad Basarab dit Daracul “le dragon*”, petit noble valaque héros de la Résistance-Reconquête contre les Turcs musulmans, en a fait Dracula : Nosfératu le Vampire.
          D’autres éléments mythologiques ont été incorporés au roman de Bram Stocker : par exemple, le prêtre † Saxo Grammaticus dans sa Gesta Danorum parle de Mythotyn18 un “magicien” que les habitants † de Fionie tuent mais qui, depuis sa tombe, provoque des épidémies : on le déterre, on lui coupe la tête, on l’empale en lui perçant la poitrine avec un bâton pointu afin de s’affranchir de ses méfaits posthumes.

Màj : si vous êtes un mordu (!) de Dracula, vous pouvez aussi visiter
un site sur Vlad Tepes, lequel inspira ces vers à Victor Hugo :

« Vlad Boyard de Tarvis appelé Belzébuth
Refuse de payer au sultan son tribut
Prend l’ambassade turque et la fait périr toute
Sur trente pals plantés au bord de la route.
Mourad accourt, brûlant moissons, granges, greniers,
Bat le boyard, lui fait mille prisonniers.
Puis, autour de l’immense et noir champ de bataille,
Bâtit un large mur tout en pierre de taille.
Et fait dans les créneaux pleins d’affreux cris plaintifs
Maçonner et murer les vingt mille captifs.
Laissant des trous par où l’on voit leurs yeux dans l’ombre
Et part, après avoir écrit sur le mur sombre :
Mourad tailleur de pierre, à Vlad planteur de pieux. »



En fait le “vampirisme” existe :
c’est une maladie génétique !


          « Selon un chimiste américain, les vampires et loups-garous, ces créatures terrifiantes du Moyen Âge pourraient avoir souffert d’une maladie grave,
la porphyrie (aggravée par la lumière du soleil et l’aïl), qui afflige ses victimes de canines proéminentes, de poils sur le visage et les fait souffrir horriblement :
          « Ce n’est pas une plaisanterie : cette maladie – héréditaire – peut aujourd’hui être soignée par des transfusions d’hémoglobine. Mais ce moyen de guérison étant inconnu dans les temps médiévaux, les malades n’avaient d’autre ressource que de boire beaucoup de sang. » Michel Belaton, quotidien D.L. du 8-5-97, à propos de la signature du nouveau livre du
Professeur Jean Marigny de l’Université de Grenoble : Dracula, éd. Autrement/ Figures mythiques, 1997.



Remarque sur quelques chimères supplémentaires
et les “liens” pour les retrouver :

          Dans, Nous avons pensé que vous préféreriez suivre les différentes parties (#) de cet article consacré au Bestiaire des Dieux et des légendes indo-européennes* sans vous distraire, sur le moment, en cliquant sur des suppléments tels que Licorne*, Loch Ness*/ Nessie, Mélusine*, ou encore Narval* et Sirènes*.

          Il sera sans doute beaucoup plus clair pour vous d’appeler ces articles (*) en cliquant sur le bouton “Sources” de la “Page d’accueil”. Vous le connaissez sans doute déjà : il ouvre un tableau complet de ces articles du Tome II et, de plus, il vous indiquera toutes les mises à jour datées…


Mise à jour : 13 nov. 2003




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